J'essaye toujours de tasser cette éventualité là dans un racoin de mon cerveau où c'est pas trop douloureux, où ça se supporte.
J'y pense souvent ; ces temps-ci, c'est tout le temps.
Je ne suis pas aveugle, je vois bien que lui, il ne va plus très bien. Ça n'a pas été sournois, j'aurai pu m'y habituer, mais non, je refusai d'y croire. Il allait à l'hôpital, et il revenait, guéri, et la vie reprenait.
Et puis, ça a duré longtemps, plus longtemps.
Et la vie s'endormait.
Et elle a eu de la difficulté à reprendre.
C'est la marchette qui m'a fait prendre conscience à quel point il était faible.
C'est horrible, comme pensée. C'est terrible. Je vous jure. Mais c'est venu naturellement,comme ça, mots pour mots :
Mon Dieu, Grand-Papa va bientôt mourir.
C'est une option que je n'avais jamais sérieusement considérée. Comme s'il avait toujours été là, et qu'il allait toujours y resté. Ça m'a pris un certain temps avant de comprendre que non, la vie, ça ne fonctionnait pas comme ça.
Mais je ne comprends toujours pas pourquoi elle va prendre mon grand-papa.
Je n'avais jamais envisagé qu'un jour, mes grand-parents vieillieraient. C'est inévitable, je le sais bien. Mais si vous aviez vu ma grand-maman! Jusqu'à tout récemment, elle était fringante, robuste, il me semblait que même un tsunami ne pourrait la faire chavirer. Et lui, si solide malgré la maladie qui ne cessait de le frapper. Mon grand-papa éponge, si peu démonstratif de ses émotions, mais qui a toujours su à sa façon nous aimer et nous le faire savoir, mon grand-papa gâteau qui se laissait flotter à la dérive du courant de sa piscine hors-terre avec ses nouilles sous les aiselles.
J'ai passé mon enfance à galoper joyeusement de long en large de sa maison, à l'accompagner un peu partout, fièrement. Et si j'étais fière d'être avec lui, je crois que ce n'était rien face à la fierté que lui, il ressentait, quand il me présentait à ses collègues de travail. " C'est ma petite-fille! " Je n'en avais pas conscience à l'époque, mais maintenant, ce sont des souvenirs que je chéris. Quand on est petit, on ne réalise pas que plus tard, ce seront ces moments qu'on se rappellera en pleurantdevant son ordinateur un dimanche soir, parce que grand-papa est rendu trop malade pour partager une frite chez Leblanc Patate à Huntingdon.
Et qu'il est bien que trop faible pour aller cueillir des fraises à la ferme Sauvé. Et qu'il ne peut plus conduire. Ni marcher sans aide. Qu'on doit s'occuper de lui toujours, tous les jours, constamment.
Je ne suis pas aveugle. Je vois bien que s'il revient de l'hôpital, il ne pourra pas rester bien longtemps chez lui avec Grand-Maman. Et elle ne pourra pas s'occuper seule de leur grande maison, de ma forteresse, de mon château, de ces planchers où j'ai rampé, tombé, joué et où maintenant mon cousin s'y donne lui aussi à coeur joie.
Je suis peut-être égoïste. Égocentrique, de ne pas vouloir qu'il parte. Mais ça fait trop mal, d'imaginer une vie sans lui. D'imaginer une vie sans
eux, parce que...parce que Grand-Maman aussi, elle est fatiguée. Je le vois bien.
J'ai tellement,tellement pas envie.
D'un côté j'envie ceux qui ont perdu leur grand-parents en bas âge, parce qu'ils n'ont pas à endurer tout ce que moi, j'endure, présentement.
Mais d'un autre côté je les plains, parce qu'ils n'ont pas connu cet amour inconditionnel, cette fierté fleurissante, cette complicité naturelle qui m'unit à mes grand-parents. Je les plains de ne pas savoir ce que ça fait, d'avoir une deuxième maman et un deuxième papa prêt à tout pour nous rendre heureux.
Un jour j'ai chanté une chanson pour mon grand-père, un truc vraiment bidon que j'avais composé avec ma mère sur l'air d'une chanson populaire, devant toute la famille élargie, ses soeurs et ses frères et ceux de ma grand-mère et les cousins cousines lointaines et les si et les ça. Et il avait pleuré, je m'en souviens très bien. Et j'avais revu dans ses yeux, dans son bisou ensuite, la fierté que je lisais sur son visage quand il m'amenait avec lui au journal où il travaillait.
Mon grand-papa, c'est le plus fort. Et je l'aime.
Et je pleure.
Et je botche la fin de ce texte parce que j'en peux plus, d'écrire.
Je vais aller dormir, en espérant ne pas me réveiller.
Ne t'en vas - Lynda Lemay Ne t'en va pas
J'me suis pas préparée du tout
À t' regarder
Plonger à pieds joints dans ce trou
Creusé pour toi
Et au-d'ssus duquel un curé
Te survivra
En prônant des absurdités
Je hais déjà
Celui qui aurait maquillé
D'un teint trop mat
Ton doux visage inanimé
Ne t'en va guère
Je n' connais même pas les fleurs
Que tu préfères
Pour te les j'ter par dessus coeur
{Refrain:}
Ne t'en va pas
Te confiner aux oubliettes
Je n' suis pas prête
À te coiffer de cette croix
Où l'on aurait
Gravé ton nom avec des dates
Que l'on plant'rait
Comme un vulgaire plant d' tomates
Ne t'en va pas
Nourrir ce grand champ de squelettes
Ne t'en va pas
Ne fais pas çà, ce s'rait trop bête
Vas-y, respire
N'écoute pas ces maudits docteurs
Qui traitent ton coeur
Comme un fossile, comme un souv'nir
Ne t'en va pas
Çà f'rait trop d' monde à consoler
Tant pis pour toi
T'avais qu'à pas tant nous aimer
J' t'achèterai pas
De jolie boîte en bois verni
Reviens chez toi
Dans ta maison et dans ton lit
Dis-moi quel ange
Dis-moi quelle volonté divine
Voudraient qu' tu manges
Des pissenlits par la racine
Çà doit déjà
Être bourré d'âmes au firmament
Et t'as pas l' droit
D'abandonner femme et enfants
{au Refrain}
Vas-y, bats-toi
T'es un vrai lion, sors-nous tes griffes
Ne t'endors pas
À l'étage des soins intensifs
C'est pas ton heure
Et çà n'est pas demain la veille
Que ton grand coeur
Aura à c' point besoin d' sommeil
Ne t'en va pas
J'vais t'en payer des grands voyages
Où tu voudras
Au Grand Canyon ou à la plage
Mais pas là-bas
Où l' monde débarque sans bagages
Je sais qu' t'es pas
Encore rendu au bout d' ton âge
C'est pas fatal
Simplement parce que c'est critique
Je sais qu' t'as mal
Je suis peut-être égocentrique
{au Refrain}
Mais j' te l'demande
Parce que je l' sais
Qu' j' m'en r'mettrais pas
Ne t'en va pas
J'me sens pas encore assez grande
Pas assez forte
Pour te laisser aller cogner
À la vieille porte
D'une gourmande éternité
Reviens chez toi
Et laisse le ciel te mériter